Compréhension et traitement psychologique des comportements autodestructifs · Blog Psychanalyste à Madrid

Compréhension et traitement psychologique des comportements autodestructifs

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(1) 10/04/2017 11:37h
Compréhension et traitement psychologique des comportements autodestructifs

Les comportements autodestructifs sont, au premier abord, les plus énigmatiques et contre-intuitifs des troubles psychiques. Comment est-il possible que quelqu’un veuille se nuire ?
 
Cela va directement à l’encontre de l’évidence apparemment limpide selon laquelle la recherche du plaisir et du bonheur est universelle. Il y a quelque chose de choquant dans le souhait de se faire du mal, de ne pas se protéger, de chercher la souffrance. Les personnes qui découvrent cette facette d’elles-mêmes en sont souvent profondément troublées.
 
Et pourtant, en prenant un peu de recul, nous constatons que les comportements autodestructifs sont loin d’être rares.
 
Certes, ils se présentent parfois sous des formes nettes et facilement repérables, où le désir de se détruire est manifeste et conscient (ou presque) : l’automutilation, certaines toxicomanies ou l’exposition volontaire à la violence des autres en sont quelques exemples.
 
Toutefois ces formes-là, si flagrantes, ne sont aucunement l’expression la plus commune des comportements autodestructifs. Toutes les formes subtiles et compulsives d’autosabordage, dont l’individu n’a aucune conscience et qui portent efficacement atteinte à son bien-être, s’avèrent bien plus fréquentes. 
 
Se rabaisser automatiquement, chercher l’humiliation à son insu, tout appréhender par un biais négatif, subir de mystérieux échecs répétitifs, s’accrocher  insidieusement (et fermement) à des situations délétères ou se retrouver continuellement dans la position de victime sont parmi les nombreuses manières mises en œuvre pour se faire du tort.
 
Notons également que, d’un point de vue plus large, certaines idéologies apposent un sentiment valorisant –souvent de supériorité morale– sur la souffrance. Elles attirent ainsi des individus qui cherchent une justification intellectuelle à leurs besoins autodestructifs inconscients.
 
En approfondissant toutes ces situations, nous décelons l’impossibilité transparente de se permettre d’être simplement heureux, mais aussi, et de façon nettement moins évidente, le plaisir clandestin pris dans la souffrance –clandestin puisqu’il est inacceptable du point de vue de la conscience.
 
Comment est-ce possible ?

Le masochisme, car il s’agit bel et bien de cela, remonte à très loin dans le développement humain. Selon certains psychologues et psychanalystes, un de ses versants pourrait être ce qui nous permet de supporter une certaine mesure de déplaisir, inévitable à l’existence humaine. 

Ceci a été récemment le sujet d’une conférence à Madrid par la psychanalyste Marilia Aisenstein ; prenons donc un moment pour décrire brièvement ce versant et le différencier de l’autodestruction.

La vie nous présente souvent des situations qui entraînent un certain degré de souffrance : tous les efforts, pas nécessairement agréables, à fournir pour atteindre nos objectifs, par exemple. 

En effet, pour avancer dans la vie, devenir plus instruits, plus compétents, plus sains, nous avons besoin de pouvoir tolérer la souffrance qui vient avec, et même de pouvoir prendre un certain plaisir à nous efforcer. Cela peut être vu comme une espèce de masochisme protecteur, une capacité à investir positivement une certaine mesure de déplaisir et à supporter la frustration.

Or, l’autre versant du masochisme, celui qui est à l’œuvre dans les comportements autodestructifs, est d’une tout autre nature : il ne mène à rien de positif, n’aide pas l’individu à avancer, et tend à l’engluer dans des spirales aussi pernicieuses que persistantes. Alors, comment opère-t-il ?

Dans la plupart des cas, nous observons que deux vecteurs internes se croisent pour engendrer ces situations. 

Le premier vecteur est un sentiment inconscient de culpabilité qui exige une punition autant qu’il interdit l’épanouissement du sujet. Culpabilité larvée, émanant souvent de désirs inconscients plus que de méfaits réels (mais pas toujours), qui condamne l’individu au malheur pour expier ses fautes. Or, ces fautes étant inconscientes, donc vécues comme immuables et constantes, l’expiation n’est jamais définitive et doit être continuellement renouvelée.

Le deuxième vecteur est un mécanisme de défense qui consiste à transformer ce qui fait mal en plaisir –jouir de la douleur de telle manière que ce qui était censé être un signal d’alarme devient une source de plaisir. Cet habile détournement est une manière très efficace de se protéger de certaines souffrances psychiques, mais il fausse le fonctionnement mental, le dénature, pour en faire un système à produire de la souffrance, soit l’opposé de sa fonction originelle. 

Ces deux vecteurs se soudent parfois dans une alliance puissante ressentie comme plus jouissive, plus contrôlable, que les plaisirs et les déceptions inévitables auxquels la vie normale nous assujettit. La question quantitative est décisive, car les sujets qui souffrent de comportements autodestructifs y sont parfois tellement ancrés qu’ils peuvent sentir qu’ils obtiennent davantage de plaisir et de sentiment de maîtrise de leur vie à se faire souffrir qu’à essayer d’être heureux.

Le traitement des comportements autodestructifs passe par la prise de conscience du sentiment de culpabilité, la compréhension des désirs, et parfois des actes, qui l’ont créé, et la perlaboration de toute cette constellation. Parallèlement, il faudra dissocier la souffrance du plaisir, ce qui implique d’abandonner une solution qui se veut plus forte que la vie, mais dont le coût est très élevé.