L’empathie est-elle une nécessité ou un obstacle en psychanalyse ?

Dans une émission de France Culture de 2015, deux psychanalystes, Laurence Kahn et Serge Tisseron, furent interrogés sur la question de l’empathie dans l’analyse, et dans le rôle de l’analyste par rapport à son patient.
Leurs points de vues contrastés ––développés dans leurs livres respectifs, Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne, et Fragments d’une psychanalyse empathique–– donnèrent lieu à un échange stimulant qui traduit la complexité de la situation tout en restant abordable aux non-spécialistes.
Cette controverse, qui remonte originellement aux positions de Freud et de Ferenczi, fait souvent l'objet de dialogues entre psychanalystes à Madrid.
Les idées de bonté contre réserve, accueil chaleureux contre neutralité, sont au cœur de ce débat où les psychanalystes contemporains cherchent à distiller, parmi les nombreuses approches psychologiques contemporaines, les meilleurs moyens d’aider leurs patients à opérer de véritables changements profonds et durables dans leurs vies –– des moyens qui doivent se garder de tomber dans la Charybde de la rassurance doucereuse ainsi que dans la Scylla d’une froideur rigide.
Voici deux extraits des positions des intervenants pendant l’émission :
Laurence Kahn : « Finalement, qu’est-ce que cherche à faire l’analyste ? L’analyste tente avec son patient de créer un espace tel que puisse se déployer, émerger, tout ce qui fait obstacle à une vie à peu près joyeuse.
C’est-à-dire toute la part sombre ; d’une certaine manière la part heureuse est une contribution à la possibilité de poursuivre le traitement, mais la part sombre est ce qu’il faut réussir à déplier à l’intérieur de la relation transferentielle.
C’est-à-dire, déplier le refoulé, ce que Freud appelle « l’inutilisable » –– inutilisable pour la tendresse, inutilisable pour l’amour, inutilisable pour la sublimation. Pour obtenir un tel résultat il faut que l’analyste réussisse à la fois à maintenir un espace d’accueil, sans répéter les blessures, et en même temps ne jamais être orienté par le but de la bonté car le but de la bonté (…) va dérouter son travail. »
Serge Tisseron : « Freud avait à faire à des patients névrotiques traditionnels, des patients pour lesquels ce qui était important c’était de repérer le transfert par rapport à des figures parentales, le père, la mère, et puis dans les années qui ont suivi on s’est aperçu que beaucoup de patients avaient été victimes de traumatismes graves qu’ils avaient de la peine à aborder, des traumatismes pour lesquels ils sentaient de la honte.
On s’est aperçu que si le psychanalyste n’aidait pas un peu le patient par une relative présence chaleureuse et bien le patient pouvait faire des années d’analyse sans jamais aborder les traumatismes graves qu’il avait vécu.
Donc on s’est aperçu qu’un peu d’empathie, ou beaucoup, selon la personnalité de l’analyste, était un élément nécessaire pour que l’analyse puisse faire face à ces nouvelles formes de pathologie dans lesquelles le traumatisme était au premier plan. »
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