Fictions et désirs : les représentations de la psychothérapie et de la psychanalyse · Blog Psychanalyste à Madrid

Fictions et désirs : les représentations de la psychothérapie et de la psychanalyse

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(0) 08/11/2014 12:29h
Représentations de la psychanalyse

La psychothérapie et la psychanalyse apparaissent assez souvent dans les films, les séries et les livres, parfois pour donner plus de profondeur aux personnages, d’autres fois comme sujet principal de l’histoire, et d’autres fois encore pour ajouter un élément comique.
  
Cela fait partie du matériel créatif des auteurs et peut s’avérer très efficace narrativement. Nous sommes émus, par exemple, de découvrir la fragilité insoupçonnée d’un personnage, ou bien nous nous émerveillons de la grande perspicacité du psychanalyste, et souvent nous ressentons un frisson délicieux à pénétrer dans un territoire interdit, protégé par le plus strict secret professionnel. À cela s’ajoute, habituellement, la mise en scène du scandale intrigant des transgressions de la déontologie.
 
Toutes ces représentations sont parfaitement légitimes comme ressources narratives, et heureusement que la psychologie, la psychothérapie et la psychanalyse ne sont pas traitées comme des objets sacrés que l’on ne pourrait aborder qu’avec la plus grande révérence.
 
Or, cela peut aussi susciter quelques interrogations car, d’un côté, nous retrouverons souvent les mêmes thèmes qui se répètent dans ces représentations –– des thèmes, nous remarquerons, qui ont très peu à voir avec la réalité. En effet, les représentations de la psychothérapie et de la psychanalyse, surtout dans les medias audiovisuels, abondent en situations entièrement fictives. Que sont et d’où viennent-elles ces fictions ? Pourquoi se répètent-elles autant ?
 
D’un autre côté, nous observerons ce qui semble être l’extrême difficulté de représenter le travail thérapeutique de manière à peu près fidèle à la réalité. Cela est presque introuvable, hormis quelques rares exceptions qui ne sont, en général, que de timides approximations. Devons-nous en conclure qu’il est, effectivement, impossible de représenter la complexité, l’honnêteté, la profondeur humaine d’une psychanalyse d’une manière qui puisse intéresser un spectateur ?
 
Essayons, donc, de répondre à ces questions en commençant par les thèmes qui se répètent et à quoi ils correspondent.
 
Fiction : L’omniscience du psychanalyste
 
Lorsque un psychanalyste est représenté dans un film ou une série il n’est pas rare que nous soyons étonnés par sa fulgurante clairvoyance face à ce qui, en principe, nous semble la plus grande opacité des difficultés du patient. Sans que nous puissions suivre son processus de déduction, le psychanalyste arrive à une compréhension miraculeuse du problème ; le patient, sidéré, en est profondément touché, et sa vie entière change radicalement à partir de ce moment. 

Naturellement, le travail des psychanalystes consiste à révéler l’inconnu ––et bien sûr qu'ils sont parfois fort intelligents, intuitifs, et qu'ils ont des moments inspirés–– mais toute ressemblance entre la réalité du travail quotidien pendant une analyse et la scène qui vient d’être décrite est assez trompeuse. Cela n'est pas si facile. Néanmoins, le fantasme de la compréhension magique, de la télépathie, n’est jamais trop loin, et il infiltre toutes les conceptions populaires de la profession. Pourquoi, d’ailleurs ? 

Parce que le psychanalyste est souvent assimilé, inconsciemment, à l’image de la mère ou du père de la petite enfance du sujet : les parents qui comprennent, de manière assez extraordinaire, soit dit en passant, les besoins du tout petit enfant sans qu’il doive ––ou puisse–– s’exprimer avec des mots. Une mère normale quand elle entend ce sanglot ou bien ce gémissement, comprend charnellement que l’enfant a faim, ou sommeil, ou bien qu’il a envie d’un câlin, et elle sait intuitivement ce qu’il faut faire. 

C’est une mère qui semble toute-puissante et omnisciente à l’enfant qui, lui, se sent transparent face à elle. Bien qu’au fur et à mesure que nous nous développons nous devenons de moins en moins transparents, cette mère première demeure dans notre inconscient et réapparait lorsque les circonstances sont propices. Une mère qui semble nous comprendre magiquement et qui est capable de résoudre notre souffrance avec la plus grande aisance. 

Par conséquent, notre psychanalyste incroyablement clairvoyant (dans le sens fort du terme, in-croyable) du film est, en réalité, une fiction : il est le désir régressif d’être un tout petit enfant avec une mère très sensible à ses besoins, d’être enveloppé dans le cocon douillet des soins maternels qui protègent l’enfant d’une expérience trop précoce de la différence entre soi et l’autre. 

La réalité lente et parfois ardue d’une psychothérapie, ou l’on doit travailler pour s’exprimer et pour comprendre, est tout sauf magique. Les fantasmes d’omniscience nous mettent à l’abri de cette réalité frustrante.

Désir : s’introduire dans un terrain interdit
 
Toutes les professions tenant à la santé mentale doivent s’astreindre à une rigoureuse confidentialité et s’engager à protéger le secret professionnel. Il est indispensable que les patients puissent sentir qu’ils sont libres de parler de choses qu’ils n’ont jamais racontées à personne ––ni même, peut-être, pleinement à eux-mêmes–– en toute sécurité. 

Le cabinet du psychanalyste est parfois le récepteur de l’intimité la plus inavouable, d’idées et de fantasmes les plus honteux, de sensations troublantes, bref, d’éléments très fortement chargés émotionnellement. Sans l’assurance que cela ne sortira jamais du cabinet, il n’y a pas de vrai travail possible. La psychanalyse, en conséquence, est une entreprise éminemment privée qui se développe seulement entre le psychanalyste et le patient. Tous les autres sont exclus.

Or, cela éveille une énorme curiosité. Que se passe-t-il là-dedans ? Qu’est-ce qu’elle raconte cette patiente ? Qu’elle est la vie secrète sous cette apparence d’une si grande normalité ? Existent-il d’autres personnes qui pensent ou sentent les mêmes choses que moi ? Les représentations de la psychanalyse dans les films et les séries nous permettent d’assouvir cette curiosité car elles nous immiscent, en toute impunité, dans ce lieu fermé et nous offrent la vision d’un échange très privé entre deux personnes. D’où vient-elle, cette si grande curiosité, alors ?

Deux motifs la provoquent : le premier est lié à l’enfance, le deuxième à l’inévitable séparation entre les êtres. 

L’enfance : nous nous rappellerons que le psychanalyste est souvent assimilé aux images inconscientes des parents de l’enfance. Ajoutons à cela que, eux, ils furent l’objet d’une grande curiosité de la part de l’enfant. En effet, une partie normale du développement de tout enfant, est la question : « Mais, que font papa et maman derrière la porte de leur chambre ? » « Pourquoi ont-ils l’air si contents ensemble parfois ? » « Qu’est-ce qu’ils partagent ? » « J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose de très intéressant, dont je suis exclu… » Plus tard dans le développement cette curiosité est refoulée car le sentiment d’exclusion est particulièrement douloureux, et il est très rare qu’un adulte s’en souvienne. Toutefois, la curiosité demeure dans l’inconscient et apparaît sous forme de ses dérivés, des situations qui ressemblent à la configuration originaire. Une psychanalyse s’y prête admirablement : « Que diable se passe-t-il là-dedans ?! ».

La séparation entre les êtres : au fur et à mesure que nous grandissons nous développons un monde intérieur privé. Il est partiellement partagé avec les personnes plus proches de nous, mais pas complètement, cela fait partie de l’intimité de chacun. Notre culture nous impose aussi certaines normes, on ne peut pas parler de tout ; certaines choses, le plus souvent de nature sexuelle ou agressive, sont considérées choquantes et répréhensibles. Or elles résident en nous tous en plus grande ou plus petite mesure. Il y là une certaine hypocrisie inhérente à la culture dont nous ne parlerons pas pour ne pas trop nous étendre, mais un des résultats de cela est que de nombreuses personnes se demandent si ce qu’elles pensent ou sentent dans leur intimité est « normal ». Avoir accès à l’intérieur le plus secret d’autres personnes en voyant ce qui se passe dans le cabinet d’un analyste est souvent un soulagement : « Ouf, je ne suis pas le seul à penser/désirer/sentir cela ! ».

À suivre.

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